Le sonnet 86 des Regrets(1558) présente un portrait satirique du courtisan romain (de la cour papale) qui peut aussi bien concerner l'auteur lui-même. Ce sonnet marotique en alexandrins déploie une seule phrase avec des infinitifs dans les trois premières strophes, et le second tercet conclusif : Voilà de cette cour la plus grand vertu (v. 12).


La satire apparaît dès les deux premiers vers avec la répétition de l'adjectif grave. Un grave pas (v. 1)peut être pesant, lourd, indiquant des préoccupations sérieuses, mais grave sourcisemble référer à un sourcil tombant, marque de soucis ; quant au grave souris (sourire)cet oxymore évoque plus une grimace qu'un sourire. La fin du vers renforce cette impression à chacun faire fête, si le sourire s'adresse « à chacun », il ne concerne personne particulièrement. Et « faire fête » est habituellement associé au chien vis-à-vis de son maître. La servilité sans discernement est encore mentionnée au vers 9 : Seigneuriser chacun d'un baisement de main. Cette absence de discernement ridiculise le courtisan dont l'attitude consiste à contrefaire l'honnête(v. 6), mais cela se voit !

Le courtisan contrefait l'honnête (homme) quand il s'exprime Messer non, Messer si, E cosi, son Servitor ; autant de bribes insignifiantes d'une conversation qui n'a pas lieu. Le vers 3 caricature les hochements de tête du courtisan : Balancer tous ses mots, répondre de la tête. Et quand le courtisan s'engage à converser, il parle de ce qu'il ne connaît pas (vers 7 & 8) : Et, comme si l'on eût sa part en la conquête, / Discourir sur Florence, et sur Naples aussi.

Ridicule encore, au vers 11, quand il s'agit de Cacher sa pauvreté d'une brave apparence. La pauvreté dont il est question n'est pas seulement matérielle puisque la « brave apparence » a une dimension morale.

Servilité, hypocrisie, et faux semblants caractérisent le comportement du courtisan romain, présentés à l'infinitif, comme pour une recette.


Le vers 12 donne la « solution » sur un ton amer : Voilà de cette cour la plus grande vertu. « Cette cour » rappelle que Du Bellay s'y trouve. Le terme de « vertu » est antiphrastique : il s'agit pourtant de la cour du pape, cœur de la chrétienté d'occident.

Les deux derniers vers sont plus amers encore, rythmés sur le mode ternaire : mal monté(avec un mauvais cheval), mal sain(malade), et mal vêtu(pauvre), voilà le résultat de l'ambition. La pauvreté est développée au dernier vers avec (sans et s'en) : sans barbe(il a contracté la pelade suite à une M.S.T., allusion aux mœurs de la cour), sans argent : il avait espéré la fortune...


Ce portrait satirique du courtisan romain acquiert une valeur universelle par l'emploi de l'infinitif et par le fait qu'il concerne aussi l'auteur.